Un certain mois d'août...
Scénario pour une reconstruction...
C'était un mois d'août, d'une certaine année, je ne sais même plus laquelle. L'impensable est arrivé… L'impensable n'est pas toujours ce que l'on craint ou ce que l'on espère, c'est parfois l'inattendu, simplement. C'est ce qui reste lorsque l'espérance s'en est allée, lorsqu'il n'y a plus rien à attendre, lorsque vivre ne signifie plus rien…
Depuis presque deux ans, nous avions découvert une nouvelle maladie, un virus inconnu qui s'insinuait partout, qui imposait de nouvelles règles pour une vie dénuée de sens. Et ce virus avait rendu tout le monde fou, non d'une folie ordinaire, compréhensible, mais d'une façon insidieuse. On en avait pris prétexte pour brimer les gens, pour les emprisonner, les bâillonner et les faire « marcher droit ». Le vieux rêve de tous les grincheux de la terre s’était enfin accompli : nul ne pouvait plus traverser les clous sans se faire taper sur les doigts, métaphoriquement bien sûr… Un rêve d'uniformité qui allait gommer toutes les différences et les inimitiés, qui allait rendre le monde heureux. Un monde « uni et heureux », telle était la devise de nos nouveaux (mais étaient-ils si nouveaux?) dirigeants, de ceux-là même qu'on croit élire alors qu'ils sont choisis pour leur soumission à l'ordre établi. C'est plus même qu'une soumission, une véritable dévotion, un sacerdoce auquel ils sacrifient leur vie entière, au détriment des peuples qu'ils asservissent plus qu'ils ne les dirigent.
C'est toute l'histoire de nos démocraties, une illusion ludique servie aux peuples qui s'en contentent, un leurre. Beaucoup on cru qu'avec cette histoire de faux virus (et vrai prétexte) cette illusion allait se dissiper, rien n'y a fait, hélas ! Des siècles d'endoctrinement ne s'envolent pas aussi facilement… C'est la force de ceux qui commandent : on leur obéit volontiers et on décourage ceux qui ont la volonté de n'en faire qu'à leur tête. « Pourquoi ne faites-vous pas ce qu'on vous ordonne » leur dit-on ? « C'est pourtant dans l'ordre des choses. »
Alors, on avait beaucoup parlé de la cuisson des homards. Non pas que j'en aie jamais mangé ni cuit, d'ailleurs, c'est un mets de riches. Non, c'est qu'il s'agit d'une façon particulière de s'y prendre, mais vous connaissez. On met la pauvre bête toute vivante (la pauvre, c'est horrible) dans l'eau à peine frémissante et on la chauffe petit à petit, le homard ne s'aperçoit de rien, il cuit sans s'en apercevoir, il meurt sans s'en rendre compte… C'est ce qui nous est arrivé, le monde entier est devenu une vaste marmite pour nous cuire tous… et qui est-ce qui va nous manger, en fin de compte ?
Les obligations se sont installées (on a fait semblant de croire qu'il s'agissait d'une « loi » naturelle) doucement, les unes après les autres, peu contraignantes au début puis de plus en plus pesantes. Les chaînes s'ajoutèrent aux chaînes, jusqu'à devenir insupportables et qu'on ne sache plus comment s'en défaire.
Il y eut des conflits, des mésententes, des grèves, des heurts. Beaucoup de manifestations, aussi, d'abord mal réprimées ou peu. On s'en étonna, les années précédentes ayant été plus dures et plus violentes pour les manifestants d'alors dont trop d'entre eux avaient perdus une main, un œil, on avait même déploré plusieurs morts. De sorte que lorsque les défilés avaient recommencé il y a quelques mois, les forces de l'ordre avaient reçu pour consigne de « lever le pied » sur les répressions pour ne pas émouvoir les foules. Mais cela personne n'en savait rien, on ne faisait que s'étonner.
En juillet, on commença à parler d'armée et à lui demander de venir en aide au peuple. Les pancartes, de plus en plus nombreuses, disaient : « Le peuple en appelle à l'armée : coup d'état militaire ».
Il ne fallut que quelques semaines pour en arriver là et c'est ici que commence notre histoire…
À l'époque, je vivais à la campagne, dans un petit village du Morvan, je sortais peu, à la fois par goût de la solitude et du silence et pour échapper aux multiples obligations qui sévissaient dès lors qu'on allait dans des lieux où l'on pouvait rencontrer du monde, des gens potentiels porteurs de ce fameux virus. J'avais souvent l'impression d'être moi-même une bombe qui allait exploser, tant personne ne s'approchait à moins d'un mètre. Je me demandais souvent comment ils faisaient, chez eux, tous ces gens effrayés. Avaient-ils cessé de s'embrasser, de s'enlacer et de faire l'amour ? Avaient-ils cessé de vivre, eux aussi ?
Si je ne voulais pas vraiment mourir, je ne désirais pas vivre non plus, je laissais passer les jours et regardais l'espoir s'enfuir peu à peu… Je me demandais, incrédule, comment faisaient tous ces gens pour vivre malgré tout. Ils s'agitaient et acceptaient toutes les restrictions pour faire semblant que tout allait pour le mieux. Le fait que celles-ci soient de plus en plus nombreuses ne les inquiétait pas. Peut-être faisaient-ils semblant ? Semblant de vivre alors qu'ils étaient déjà morts sans le savoir ?
Je ne regardais plus la télévision depuis belle lurette, aussi n'ai-je pas été au courant de la nouvelle tout de suite. C'est en allant me promener à l'autre bout du village (car je sortais un peu malgré tout) et en passant devant le café, le proprio m'interpelle par ces mots :
- Vous avez entendu la nouvelle ?
- Non… Quelle nouvelle ?
- Ça y est, l'armée est intervenue ! Elle a investi l’Élysée, le président est en fuite…
- Avec la boulangère et le petit mitron, murmurai-je ironiquement ?
Devant l'air courroucé du gars, j'ai battu en retraite et suis rentré chez moi pour me renseigner davantage. Un coup d'état, bordel !
Incroyable et pourtant, si, c'était bien ça, enfin…
Extrait de mon douzième ouvrage inachevé qui devait s'intituler : Faire table rase du présent!
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